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La
France rend homage à Aimé Césaire
L"adieu au Nègre
Edito du Monde
18.04.2008
La République est en deuil
et les hommages se succèdent. Déjà, des voix s"élèvent pour qu"il entre au
Panthéon... Mais nul ne s"y trompe : c"est en Martinique, et plus largement aux
Antilles, que l"on se sent orphelin. C"est dans les Caraïbes que la figure
d"Aimé Césaire, « symbole d"espoir pour tous les peuples opprimés »,
selon la formule de Nicolas Sarkozy, prend tout son sens, avec son poids de
mémoire douloureuse et de combats. En métropole, malgré tous les éloges
d"aujourd"hui, son oeuvre poétique est en grande partie ignorée.
André Breton la qualifiait,
à juste titre, de « monument lyrique ». Aimé Césaire a donné en effet à
la littérature française un souffle, un accent qui n"avaient pas été entendus
avant lui. « J"habite une blessure sacrée / J"habite des ancêtres imaginaires
/ J"habite un vouloir obscur... » Cette langue volcanique n"a pas valu
cependant au normalien, agrégé de lettres, une entrée à l"Académie française,
contrairement à son ancien condisciple Léopold Senghor, avec qui il avait lancé
et consacré l"idée de « négritude ».
Cet Antillais a contribué à
rendre à l"homme noir sa fierté. On le célèbre en Afrique comme s"il faisait
partie de ce continent. Mais Césaire a été aussi, pendant plus d"un demi-siècle,
la plus grande figure politique martiniquaise. Son exceptionnelle longévité
comme conseiller général, maire de Fort-de-France et député -- il a siégé à
l"Assemblée nationale de 1945 à 1993 -- a fait de lui un personnage central.
Retiré de la vie politique depuis 2001, contesté par les uns mais vénéré de
tous, il était devenu une sorte d"icône. Même l"aéroport international de la
Martinique porte son nom...
Rejetant la notion
d"assimilation, cette « grande illusion », Césaire a été l"un des
artisans de la création des départements d"outre-mer. « Je ne suis pas
antifrançais, disait-il, je suis d"abord martiniquais. » Lionel
Jospin a bien résumé la personnalité de ce chantre de la négritude : « Aimé
Césaire était fait d"un alliage rare. C"était un magnifique écrivain et un vrai
politique. (...) Un être fier de sa singularité d"homme noir et un
humaniste attaché à l"universel. Un combattant de l"anticolonialisme et un
fidèle de la République. » Pour sa part, Aimé Césaire disait joliment :
« Si vous voulez comprendre ma politique, lisez ma poésie. »
L"hommage de la France
à Aimé Césaire
Le Figaro
avec AFP, AP
21/04/2008
Des milliers de Martiniquais ont
assisté aux obsèques nationales du poète de la « négritude » dimanche à
Fort-de-France.
« Bien sûr qu"il va mourir, le
rebelle... ». La poésie d"Aimé Césaire a retenti dimanche à Fort-de-France lors
d"un hommage exceptionnel au poète de la « négritude », en présence de Nicolas
Sarkozy et de milliers de Martiniquais.
Emotion, gratitude et ferveur ont
marqué cet ultime hommage. « C"était le meilleur des fils de la Martinique », a
lancé un des plus proches compagnons de Césaire, Pierre Aliker, 101 ans. Très
ému, il a raconté en introduction de la cérémonie le combat du poète contre la
colonisation et le racisme.
Césaire « prototype de la dignité
humaine »,selon le mot d"André Breton. C"est ce que l"on pouvait lire sur un
grand portrait lors de la cérémonie. Des extraits de son oeuvre étaient affichés
et des comédiens antillais et africains scandaient les « mots de sang frais » de
l"auteur du « Cahier d"un retour au pays natal ».
Pas de discours de Nicolas Sarkozy
Une plaque de céramique portant le
nom d" « Aimé Césaire (1913-2008) » et les mots « Liberté, identité,
responsabilité, fraternité », a été posée sur le fauteuil destiné au
président de la République qui assistait à la cérémonie.
La famille du défunt a cependant
refusé que Nicolas Sarkozy prononce un discours afin d"éviter toute récupération
politique. Le chef de l"état s"est donc seulement
exprimé à sa sortie de l"avion. « Tous les Français se sentent aujourd"hui
Martiniquais dans leur coeur », a-t-il déclaré. « Je suis venu dire à la
Martinique que la France entière partage sa douleur, que c"est la Nation toute
entière qui est en deuil ».
Le chef de l"Etat a eu des
relations difficiles avec l"ancien député-maire de Fort-de-France. Celui-ci
avait refusé de le recevoir en 2005 en raison de la loi sur « le rôle positif de
la présence française outre-mer », avant de le rencontrer l"année suivante.
Un poème sur sa tombe
De nombreuses personnalités
politiques, plusieurs ministres, François Bayrou et des responsables du PS,
notamment François Hollande, Laurent Fabius, Lionel Jospin et Ségolène Royal
étaient également présents lors de la cérémonie.
Les obsèques nationales n"avait
été rendues jusqu"à présent qu"à trois écrivains, Victor Hugo, Paul Valéry et
Colette. Un hommage qui tranche avec l"absence, en
2001, du président de l"époque, Jacques Chirac, et du chef du gouvernement,
Lionel Jospin, aux obsèques à Dakar de Senghor, alors très mal vécue par la
population sénégalaise.
Après plus d"une heure de
cérémonie, le cercueil a été transporté vers le cimetière la Joyau où le poète a
été inhumé. Pendant près d"un quart d"heure, le public a applaudi le départ du
cercueil, aux cris de « Béïa pour Césaire » (vive Césaire). Des milliers de
personnes ont accompagné le poète jusqu"à sa dernière demeure. Sur sa tombe, des
mots choisis par le poète lui-même, tirés de son « Calendrier lagunaire » : « La
pression atmosphérique ou plutôt l"historique/Agrandit démesurément mes maux/
Même si elle rend somptueux certains de mes mots ».
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